RDC : tollé après la condamnation d’autochtones pour « destruction méchante de la nature »

Claude Sengenya, JusticeInfo.Net 10 septembre 2020

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[caption id="" align="alignnone" width="730"] Un ranger en patrouille dans le Parc national de Kahuzi-Biega, au Nord-Est de la République démocratique du Congo, en septembre 2019. Une opération militaire a été lancée en 2018 contre les activités illégales dans cette zone protégée. © Alexis Huguet / AFP[/caption] Huit membres d’une communauté pygmée de l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) ont été lourdement condamnés, le 4 février, pour « destruction méchante de la nature » dans un parc national. Les autochtones défendent leur droit à accéder à leurs « terres ancestrales ». Le parc national renvoie la responsabilité sur l’Etat. La solution est-elle pénale ? Le 4 février, le tribunal militaire de garnison de Bukavu, dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), a rendu un jugement pour le moins controversé. Huit membres de la communauté autochtone Batwa, peuple pygmée de la région des Grands Lacs, ont été reconnus coupables d’actes de dégradation du Parc national de Kahuzi-Biega (PNKB). Inscrit au patrimoine de l’humanité, le PNKB fut créé en 1970 dans le but de protéger une espèce endémique, le gorille de plaine. Le parc est situé à cheval sur les provinces du Sud-Kivu, du Nord-Kivu et du Maniema. Selon ses responsables, les huit Batwa ont détruit plus de 500 hectares du parc, en creusant le sol à la recherche de minerais et en coupant des arbres pour obtenir du bois d’œuvre et du charbon. Le chef du groupe, Jean-Marie Kasula, et cinq hommes accusés avec lui, ont écopé chacun de 15 ans de « servitude pénale » (prison) pour détention illégale d'armes de guerre et munitions, association de malfaiteurs et « destruction méchante » du parc. Dans le même jugement, deux femmes ont été condamnées chacune à une année de prison et 200.000 francs congolais (107 euros) d'amende pour participation à cette « destruction méchante de la nature ». Jusqu’à cette affaire, le travail de la justice militaire congolaise a été salué, notamment pour ses procès de chefs rebelles ou d’officiers de l’armée poursuivis pour crimes sur des civils. Mais ce nouveau jugement lui a plutôt attiré les foudres de l’opinion nationale et internationale.

Procès expéditif

Les défenseurs des droits des peuples autochtones dénoncent des irrégularités dans la procédure et des conclusions hâtives, partiales et superficielles. « Le juge président de la chambre foraine n’a pas permis aux huit coaccusés de présenter une quelconque défense contre l'accusation, d'apporter ou de contester les preuves présentées ou de présenter leurs propres arguments », a réagi, au lendemain du jugement, l’ONG Forest Peoples Programme (FPP), basée au Royaume-Uni, qui a décidé d’apporter un appui aux Batwa pour le procès en appel. La défense « n’a bénéficié que d’une seule journée pour examiner le dossier des huit prévenus », selon l’ONG, un reproche confirmé par l’avocat de la défense, Serge Bufole. « Il n’y a pas eu d’égalité des armes. On nous a pris au pied levé, un certain matin, et on nous a emmenés devant la chambre foraine », affirme Me Bufole, qui ajoute que les accusés ont souffert de « faim », se sont plaints de « mauvaises conditions de détention », et étaient « physiquement et mentalement faibles » pour affronter leur procès. Une fois les débats ouverts sur le fond, accuse encore l’avocat, les juges ont refusé d’entendre des témoins de la défense. Surtout, le juriste congolais reproche aux juges de ne pas avoir permis d’aborder « la convention » conclue en septembre 2019 entre l’administration du parc et les peuples autochtones, un texte prévoyant, selon lui, qu’un « espace considérable » soit laissé aux autochtones. « Malheureusement, cette convention n’a jamais été respectée » par les responsables du parc, déplore-t-il. « Voilà pourquoi les Batwa ont continué à mener leurs activités dans le parc qu’ils considèrent comme un héritage de leurs ancêtres. Ils ne comprennent pas qu’on puisse les faire déguerpir sans les indemniser. S’il y a expropriation pour cause d’utilité publique, on doit indemniser », plaide l’avocat. [caption id="" align="alignnone" width="729"] Selon Hubert Mulongoy, porte-parole du Parc national de Kahuzi-Biega, des efforts ont été faits pour la scolarisation des enfants autochtones. © Claude Sengenya[/caption]

La conservation, pour qui ?

Les responsables du parc Kahuzi-Biega affirment avoir honoré leurs engagements dans la mesure de leurs moyens. « Le non-respect des clauses n’est pas une raison pour s’en prendre au parc. Nous avons respecté plus de 80% de ces clauses », indique Hubert Mulongoy, porte-parole du PNKB. Il cite un appui à la scolarisation des enfants autochtones, le recrutement de certains d’entre eux comme « éco-gardes ». « Certes, il arrive que des financements manquent, mais on se démène », dit-il. Malgré ces explications, les défenseurs de la cause des autochtones ont du mal à comprendre les conclusions de la chambre. « Etudiez le mode de vie traditionnel des Pygmées, vous allez comprendre qu’ils sont de vrais protecteurs de la nature. Ils ne consomment pas les espèces protégées, comme les gorilles. Les Pygmées ne font que ramasser du bois mort, des chenilles, des écorces utiles à la nutrition, ce qui ne menace en rien la conservation dans le parc. On ne doit pas les priver des moyens de survie au nom de la conservation, sinon la conservation n’a plus de sens », explique Blaise Mudodosi, responsable de l’ONG locale Actions pour la promotion et la protection des peuples et espèces menacés (APEM). Selon cet avocat spécialisé dans les questions environnementales, les Batwa sont dans leur droit. « Les terres ancestrales des Pygmées sont dans ce qui est devenu aujourd’hui le parc de Kahuzi-Biega. Au lendemain de la création [du parc], des autochtones ont été chassés de leurs villages, dépossédés de leurs terres sans être indemnisés. Ca ne causait pas de problème parce qu’ils ont trouvé, aux abords, des espaces de vie. Mais avec la diminution des ressources, ils sont aujourd’hui tentés de regagner leurs terres ancestrales », explique Me Mudodosi. [caption id="" align="alignnone" width="729"] "Les Pygmées ne font que ramasser du bois mort, des chenilles, des écorces utiles à la nutrition, ce qui ne menace en rien la conservation dans le parc" défend Blaise Mudodosi, de l'ONG APEM, qui promeut et protège les peuples et espèces menacés. © Claude Sengenya[/caption]

Dissuasion judiciaire et héritage colonial

Hubert Mulongoy semble admettre cette dure réalité. Mais il jette la balle dans le camp du gouvernement. « Le parc en soi, avec ses partenaires, ne peut pas acheter des terres pour les Pygmées. C’est de la responsabilité de l’Etat congolais de trouver où ils peuvent être installés. Le plus grand problème, c’est une terre assez limitée. Il n’y a pas d’espace pour l’agriculture, l’élevage. Ils [les Pygmées] n’ont pas tout ça. » Me Mudodosi pense, lui, que le PNKB peut, à son niveau, résoudre la question en repensant la gestion de cette aire protégée. « Certes, le parc est très important, mais il faut voir comment le parc peut vivre avec les communautés. Les gestionnaires doivent autoriser aux communautés certaines entrées, pour des questions culturelles et de survie. Le PNKB doit résoudre tous ces problèmes pour garantir la gestion durable du parc. La solution n’est pas le procès », insiste l’avocat. Forest Peoples Programme estime que ce jugement, « rendu à la hâte, détourne l’attention nationale et internationale d’une réalité bien différente : la quête permanente de survie des communautés autochtones Batwa/Bambuti, qui ont été expulsées du Parc national de Kahuzi-Biega en 1975 ». Selon l’ONG, « on a voulu, à travers ce procès, envoyer un message de dissuasion à tous les autres membres des communautés Batwa/Bambuti qui seraient tentés de s’installer dans le parc comme l’a fait Kasula. Ce procès expéditif vise non seulement Kasula mais aussi tous les autres peuples autochtones » de la région orientale de la RDC, affirme l’organisation. Pour Fiore Longo, responsable de la recherche et du plaidoyer à Survival International, ONG internationale de défense des peuples indigènes, ce procès prouve à tout le moins, « que les peuples autochtones n'acceptent pas de tout perdre et qu'ils se défendent ». « Dans de nombreux endroits, les populations locales font entendre leur voix démocratique et se retournent contre le modèle colonial de conservation qui contient les graines de sa propre destruction. Si ce modèle ne change pas pour donner la priorité aux droits des populations, il ne survivra pas », ajoute-t-elle. Article originalement publié sur JusticeInfo.net. Lire ici.

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